Comment la médiation redéfinit-elle le pouvoir, la parole et l’équité ? 

Réconcilier

La médiation, comprise comme un mode de gestion des conflits, renverse l’interprétation de certains concepts issus de la justice traditionnelle et du monde judiciaire. Le processus de médiation questionne trois notions majeures au centre des conflits en proposant, me semble-t-il, une définition nouvelle. 

Ces notions comptent trois mots qui résonnent fort dans notre imaginaire individuel et collectif : le pouvoir ; la parole ; l’équité

Ce sont ces trois concepts que la pratique de la médiation nous aide à interroger et à redéfinir : 

  • Le pouvoir le plus épanouissant n’est pas celui que l’on possède sur son adversaire mais celui que l’on acquiert sur soi pour rester maitre de ses décisions et de la meilleure solution à opposer au conflit ;
  • La parole est un outil devant d’abord servir à soi-même, tel un instrument de musique que l’on apprend à jouer de mieux en mieux et permettant de mieux écouter, au lieu d’être un argumentaire dirigé contre l’adversaire ou un autrui que l’on cherche à convaincre du bienfondé de ses prétentions ;
  • Le critère d’une solution juste n’est pas du côté de l’objectivité mais d’un équilibre co-construit par les personnes en situation de conflit, en fonction de leurs besoins respectifs et de leur propre échelle de valeurs. 

1. Pouvoir vs Liberté

Il serait bien naïf de croire que les personnes en conflit entrent en médiation sans volonté aucune de pendre le pouvoir sur l’autre, de démontrer qu’elles ont raison et qu’un procès bien mené leur donnerait très certainement gain de cause. Pour autant, un changement d’attitude envers la réalité du pouvoir en médiation est possible. La médiation met en effet la liberté au centre du processus de résolution du conflit. 

D’une part, chaque participant est libre d’arrêter la médiation à tout moment. 

D’autre part, le chemin de médiation prend la direction que les parties veulent bien lui donner : un chemin ouvert, une route sinueuse, une impasse

Le cadre flexible de la médiation laisse toute sa place à l’autonomie des parties. C’est d’ailleurs cette même liberté qui peut effrayer les médiants au départ, dans une situation où la communication est rompue par l’intensité du différend qu’elles vivent au quotidien. C’est alors le rôle du médiateur que de créer un cadre rassurant au sein même de l’entière liberté dont disposent les parties et qui doit jouer à plein dans la construction d’une solution singulière, qui leur est propre et qui reste à inventer, ici et maintenant. 

Le véritable pouvoir en médiation ne réside donc pas dans la capacité à réduire les arguments de son adversaire ou à le dominer mais à reprendre le pouvoir sur soi et sur ses choix. Les deux parties ont le pouvoir non pas de choisir leur adversaire mais de co-construire librement la meilleure solution à opposer au conflit. La médiation permet de redevenir acteur d’une situation subie, en relation avec cet autre auquel nous nous opposons mais que l’on ne peut pour autant exclure du jeu de la liberté si l’on souhaite conserver la sienne

Ce renversement d’interprétation de la notion de pouvoir est rendu possible par le processus de la médiation. Ce processus libre, auquel deux personnes en conflit choisissent d’avoir recours avec l’objectif de renouer un dialogue constructif, permet de trouver une solution pérenne à l’opposition qui les unit, et souvent les déchire. Ce choix d’entrer en médiation et d’y rester implique de la part des médiants de renverser certaines attentes ou attitudes, pourtant bien intégrées, consciemment ou non, dans une conception ordinaire de la justice : mener une bataille judiciaire, gagner une affaire, avoir raison sur l’autre selon des critères objectifs ou objectivables. La médiation propose un changement de paradigme qui commence avec cette notion de pouvoir, bien présente dans les situations conflictuelles mais qui doit reposer davantage sur un rapport de courage envers soi-même que sur un rapport de force contre l’autre

Encore faut-il ajouter que pour certains, la médiation n’est pas le point final qui permet de mettre fin au conflit mais constitue une phase intermédiaire avant le procès, un moyen d’aborder cette étape plus dignement et sereinement, en ayant fait un premier travail de réflexion sur soi, afin de mieux vivre et de mieux gérer la procédure. Dans ce cas, la médiation aura au moins permis d’interroger ses besoins et ses attentes en dehors d’un cadre prédéfini. Le processus de médiation peut être un point d’étape intéressant dans la tentative de résolution du conflit, même s’il ne conduit pas en tant que tel à sa résolution ou à sa fin. La médiation est alors un accompagnement au processus judiciaire, intervenant en complémentarité avec celui-ci. 

Médiation et processus judiciaire ne travaillent pas en opposition. Une médiation peut conduire une personne à choisir la voie judiciaire et à remettre le conflit entre les mains de la justice. La médiation permet de faire ce choix en conscience et en connaissance de cause, après avoir interrogé les raisons pour lesquelles on juge souhaitable de poursuivre la bataille judiciaire et avoir accepté les conséquences associées, sur les plans psychologique, financier, social. Le dialogue instauré en médiation avec l’autre partie, qu’il soit satisfaisant ou non, permet a minima de se repositionner face au conflit et de reprendre le pouvoir sur l’avenir.

2. Argumentation pour autrui vs Parole à soi 

La parole en médiation doit se transformer, de couteau tranchant et acéré, elle doit devenir un instrument de musique que l’on éprouve pour progresser vers l’harmonie

La médiation permet de dire pour s’écouter soi et non pas seulement de dire pour convaincre l’autre. La parole aide à construire quand elle n’est plus tournée contre l’autre, comme pour barrer un chemin, poser des interdits, mais au contraire quand elle ouvre vers un territoire à explorer. La parole devient ouverture et questionnement. La réflexion reste certes vacillante et hésitante entre des personnes en désaccord, mais elle a des chances de progresser quelque part. 

Finalement quelles sont les raisons, les sources et les motivations profondes du conflit en jeu ? L’objectif de la médiation est de découvrir ensemble ces raisons véritables pour chacun des participants afin de pouvoir y associer des solutions pertinentes, en faisant fi des objectivations du conflit artificiellement construites pour convaincre un juge, combattre un adversaire ou satisfaire l’entourage.

Contrairement au juge, le médiateur ne tranche pas, il ne cherche pas à être convaincu par des arguments objectifs ou des preuves. Le médiateur cherche à libérer chez les médiants non pas une parole tournée vers les faits mais vers soi, c’est-à-dire vers son intériorité. 

Qu’est-ce que cela signifie ?

Quand le seul objectif est de dire pour convaincre autrui (un juge, un arbitre, l’entourage), nous ne disons pas la même chose que quand il s’agit de dire sa vérité : une vérité parfois difficile, parfois honteuse, qui met en péril l’égo ou notre posture habituelle, notamment dans un cadre professionnel. La médiation aide alors à se détacher des carcans sociaux et judiciaires. Elle permet de dire autrement, sans filtre et sans fard, parfois sans amabilité aucune mais avec sincérité. C’est en cela que la médiation n’est pas un mode aimable mais amiable. Il ne s’agit pas de nier les oppositions et les querelles, mais de trouver des remises en question réciproques, de mieux entendre l’autre, si ce n’est de le comprendre, avant de pouvoir avancer sur le terrain d’une entente potentielle. 

La médiation est un processus de lucidité, dans son sens ordinaire et aussi étymologique : il s’agit de mettre en lumière sa vérité par la parole. Dire pour soi, se dire à soi et à l’autre. S’écouter, écouter ses besoins véritables pour envisager une solution au conflit. 

Le dire dans la médiation n’a pas pour vocation première de convaincre autrui mais de s’entendre affirmer et assumer face à l’autre ce que l’on a vécu et ce que l’on pense. 

Cette parole en première partie de médiation est un moyen de s’écouter véritablement, de se questionner, de remettre en question. En disant pour soi en médiation, on dit aussi à l’autre, mais pas forcément contre l’autre. D’ailleurs, dans ce processus d’ouverture et de réflexion, l’autre devient un observateur direct qui peut prendre conscience de l’ensemble des conséquences du conflit sur son « adversaire ». Les participants au processus qui osent dire, en dehors d’un cadre procédural parfois paralysant, contraignant, codifié, donnent à voir la façon dont ils ont vécu les événements, dans une mélodie qui n’a pas toujours été entendue de la sorte par l’autre partie au conflit.

En médiation, les participants au processus prennent le temps (et loin des évidences, peut-être pour la première fois), d’exprimer leur réalité et leurs perceptions, en dehors des seuls arguments juridiques ou convenus. Cette parole encouragée en médiation suppose d’écouter sa voix intérieure, sa propre vérité et d’oser dire à haute voix, face à l’autre mais pas nécessairement contre lui

L’espace de médiation est donc autant un espace d’écoute de l’autre que d’écoute de sa propre parole, en dehors des influences extérieures (pression sociale, environnement familial, aussi bienveillant soit-il). Le lieu de la médiation se veut un lieu de vérité, non pas la vérité objective et abstraite, mais celle de la narration des parties qui peuvent choisir de tomber le masque ou le rôle, en laissant derrière eux ce dont ils ont parfois fini par se convaincre eux-mêmes, en essayant de convaincre les autres ou le juge, en trouvant de « bonnes raisons », c’est-à-dire des raisons « entendables » par l’entourage (familial, amical, professionnel), mais parfois éloignées des vraies raisons du coeur. 

La solution au conflit ou le retour au dialogue exigent au préalable de toucher par le coeur ses véritables besoins. Cet espace de parole en vérité est de la responsabilité du médiateur, garant de la confidentialité et du processus, mais aussi et surtout des médiants qui sont les véritables acteurs du dialogue pour atteindre la vérité de leurs besoins et de leur histoire personnelle.

3. Critère objectif vs Equilibre

Le processus de médiation n’est pas le simple déroulé d’une négociation où le critère objectif fait loi, ne pouvant plus être remis en cause par les deux parties ayant signé l’accord. La médiation choisit de mettre l’expertise ou le critère objectif au second plan et d’accorder toute sa place à la subjectivité. La médiation préfère l’équilibre au critère objectif. S’éloigner du critère objectif permet ainsi de faire un détour par la complexité des individus en présence, de mieux appréhender leurs besoins et leurs intérêts pour atteindre une solution plus juste et satisfaisante, alignée avec leur vision de l’avenir. 

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de place pour l’argumentation et la négociation entre les parties. Toutefois, le seul critère d’une solution juste et équitable sont les parties elles-mêmes à la médiation. 

Pourquoi ? 

Tout d’abord, le médiateur, bien qu’il soit indépendant, neutre et impartial, n’est pas un être omniscient, sachant tout des parties en conflit, pouvant embrasser l’entière complexité de la situation en jeu. Il ne saurait en aucun cas juger de la pertinence d’une solution construite par les parties, qui restent maitres de leur affaire. 

Ensuite, la médiation fait prévaloir l’autonomie et la liberté des parties sur une vérité abstraite et objective dont le médiateur ne saurait être le garant, malgré toute la bonne volonté du monde. Cette notion d’équilibre reste souple et à la seule discrétion des médiants. La solution trouvée par les parties n’attend pas de jugement : seules ces dernières connaissent leurs véritables besoins et intérêts, au-delà des critères dits objectifs ou socialement admis. Une situation objectivement déséquilibrée (au plan financier par exemple) peut apparaitre comme la plus équitable pour les parties, la meilleure solution en fonction de leur appréciation et de leur connaissance de la situation. Le médiateur accompagne les médiants et leur fait confiance dans leur capacité à trouver la solution singulière adéquate. 

Il existe tout de même une limite, en lien avec le principe de dignité de la personne. La médiation ne doit pas en effet être un lieu de fraude où l’une des parties profite de la vulnérabilité de l’autre pour extorquer un accord indigne, intolérable ou inadmissible. Dans ce cadre, le médiateur reste le garant d’une certaine équité, en s’assurant qu’il n’y ait pas tromperie ou manipulation, conduisant à un déséquilibre excessif dans la solution choisie. 

Conclusion

La médiation n’est pas : 

  • pouvoir sur l’autre mais reprise du pouvoir sur soi ;
  • argumentation contre l’autre mais écoute de soi ;
  • prise en compte d’un critère objectif socialement acceptable mais préférence d’une solution singulière et co-construite par les parties elles-mêmes.

La médiation permet non pas de rendre la justice, à l’image de l’institution judiciaire dont c’est le principal enjeu, mais de se rendre justice à soi, dans une tentative de découverte de la meilleure solution pour soi et acceptable par l’autre. 

La médiation est-elle pour autant une voie plus facile que la voie judiciaire ? La réponse est non, il me semble.

Pourquoi choisir la médiation alors ? 

On ne choisit pas la médiation parce que c’est plus simple, mais justement parce que celle-ci propose une réflexion profonde, plus active, libre de construire par elle-même et avec l’autre une solution spécifique, non pas imposée mais choisie, en connaissance de cause, après avoir mis en lumière ses besoins non négociables. La médiation, c’est choisir de reprendre le pouvoir sur soi plutôt que de chercher à prendre le pouvoir sur l’autre. La médiation est donc tout à la fois exigeante et pragmatique, dans cette ambition raisonnable de se rendre justice d’abord à soi-même, sans recherche d’une justice absolue supposant une ligne de partage parfois brutale entre un vainqueur et un vaincu. 

La médiation permet de s’écouter en vérité, de reprendre le pouvoir sur sa vie, de trouver un équilibre pour soi. N’est-ce pas là l’objectif premier qui devrait primer pour les parties ? Se rendre justice à soi.

Quel est enfin ce « rendre justice à soi » ? 

C’est d’abord l’idée d’une réconciliation avec soi-même : réussir à concilier ses différents « soi », ses multiples visages, ses motivations plurielles, en choisissant un chemin permettant de reprendre le pouvoir sur la situation de conflit. La réconciliation à soi permet ensuite de mieux interagir avec l’autre, de mieux se positionner au sein du conflit, d’ouvrir de nouvelles voies de résolution, de tourner la page avec davantage de courage ou de renouer avec l’autre, sans réconciliation aveugle avec la contrainte de devoir continuer la relation pour avoir la paix sociale ou une sérénité artificielle. Dans ce cadre, la réconciliation ne consiste pas à se contraindre et à prendre sur soi, mais au contraire à revenir à soi et ses besoins, avant peut-être de réussir à trouver avec l’autre un compromis raisonnablement acceptable.

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Pour comprendre en quelques minutes ce qu’est la médiation, qui elle concerne, quand et pourquoi y recourir, je vous invite à lire l’article de Delphine sur son site Tout Droit Tout Simple.

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