Au Japon, il existe un art ancestral datant du 15e siècle, appelé Kintsugi. Il consiste à réparer les objets de céramique ou de porcelaine brisés en réunissant à nouveau les morceaux avec une laque saupoudrée d’or. Loin de chercher à dissimuler la cassure, le kintsugi la met en lumière et la sublime en la recouvrant du métal le plus noble. Les fissures deviennent alors des lignes précieuses, qui racontent une histoire unique. Contrairement à une restauration dite « illusionniste », qui chercherait à effacer toute trace de cassure, l’art du kintsugi ne cache pas l’accident derrière une apparente perfection. Les « cicatrices » deviennent la signature de l’objet. Chaque ligne d’or raconte une histoire de vie, de perte et de renouveau. Ainsi, l’objet réparé n’est certes plus tout à fait le même mais c’est à ce prix qu’il en ressort plus beau et singulier.
Cet art est autant une technique qu’une philosophie. Cette philosophie se rapproche de celle de la médiation, qui vise non pas à réconcilier artificiellement deux êtres en tension ou en conflit mais à transformer la relation fragilisée en nommant les blessures. La médiation commence par reconnaître que quelque chose s’est cassé, sans minimiser le conflit ni les enjeux ou les perceptions de chacun. Elle nous invite à habiter ces fissures, à les regarder en face avec courage et lucidité, à mieux les comprendre. Toute relation porte en elle les blessures et le vécu de chacun ; elle n’est donc ni lisse, ni uniforme, ni régulière.
L’art de la médiation, comme celui du kintsugi, nous rappelle que le conflit qui sépare ou éloigne peut être le début d’une transformation. Il y a une beauté possible de la réparation si elle est envisagée comme un chemin de création positive et d’écoute de l’autre.
La médiation : recoller les morceaux ?
Après un conflit, une crise avec un proche, ne cherche-t-on pas souvent à rapidement « recoller les morceaux » ? La question reste de savoir comment et avec quels outils. Quelle méthode utiliser pour que cette réparation n’ignore pas les fragilités ayant conduit à la rupture, même temporaire, même petite ? La médiation, comme le kintsugi, propose une restauration consciente du lien et de la confiance, en considérant les failles et les vulnérabilités de chacun. Le rôle de la médiation n’est alors pas de faire disparaître les fissures ou le passé pour revenir à l’état initial : mission impossible. Au contraire, comme le kintsugi, elle accueille les fractures et leur donnent leur juste place. Elle invite chacun à regarder la relation et son évolution avec d’autres yeux, à admirer les blessures plutôt que de les masquer, pour envisager de nouvelles façons d’être en lien, en adéquation avec les attentes de chacun. Les blessures ne disparaissent pas, mais elles prennent un sens et donnent une direction nouvelle à la relation.
La réparation peut permettre de vivre une relation nouvelle, réinventée, enrichie par ce qui a été traversé. Parfois, la médiation amène à constater la nécessité d’une séparation, mais propose de la vivre dans l’apaisement, en apprenant à se réparer soi, à se sentir complet, même sans l’autre, à accueillir le vide laissé par celui dont on se sépare, pour reconstruire petit à petit sur ces fissures qui nous ont aidés à grandir.
Parfois, les mots qui blessent séparent les êtres, et le lien semble définitivement rompu. Lorsqu’une relation se brise avec une impression de perte irréparable, le kintsugi nous rappelle aussi que tout ce qui a de la valeur mérite d’être réparé et peut l’être avec un soin si particulier que l’issue n’en est que plus belle. Il est d’ailleurs assez drôle d’observer certains amateurs d’art et collectionneurs souhaitant provoquer la chute volontaire d’un objet et donc sa fracture, pour lui donner une nouvelle dimension grâce au kintsugi. Sans vouloir créer de conflits artificiels pour avancer dans nos relations, il est toujours intéressant de considérer d’abord l’option de la recherche de transformation de nos liens altérés, avant le jugement irréversible et le rejet, l’oubli ou le déni.
L’épreuve comme révélation positive et transformatrice
Le conflit, traversé avec les bons outils et un accompagnant quand cela s’avère nécessaire, peut devenir un révélateur. La médiation, comme le kintsugi, exige un cadre précis, une méthode pour être fructueuse. Il n’y a pas de restauration-transformation sans patience ni rigueur. Comme le maître du kintsugi qui travaille avec lenteur et délicatesse, le médiateur crée un espace pour ralentir le rythme, afin que chacun puisse s’exprimer librement tout en écoutant vraiment l’autre. La médiation est un art de la précision, de l’introspection, de la persévérance. Le médiateur-restaurateur peut aider à mettre en place le cadre de la réparation, à mettre en lumière ce qui compte vraiment pour chacun, à identifier le socle de la relation, ce qui reste et dont il faut prendre soin, tout autant que ce qui a été blessé, perdu, ou négligé avec le temps au lieu d’être protégé. Le processus de médiation nous permet de redécouvrir l’autre et nous révèle aussi à nous-mêmes : nos besoins profonds, nos limites, nos désirs véritables.
De la même manière qu’un vase réparé par le kintsugi ne sera jamais identique à ce qu’il était, les relations évoluent et les épreuves que nous traversons nous transforment. De ces fractures, il est possible d’en sortir plus conscients et plus solides. Que la réconciliation advienne ou non, la transformation intérieure demeure et peut devenir lumineuse. Toujours, la transformation laisse des traces d’or : une force nouvelle, une profondeur plus grande, une meilleure compréhension mutuelle et de soi-même.
Conclusion
L’art du kintsugi donne une définition nouvelle de la réparation, applicable à nos relations et soutenue par la médiation : la réparation n’est pas un retour en arrière, mais la transformation de nos vulnérabilités en forces. La réparation, dans nos relations et avec nous-même, peut prendre des formes multiples, inattendues et surprenantes, des formes que l’on n’imaginait pas. Lorsque la séparation reste la meilleure issue pour chacun, il est aussi possible de prendre soin de ses propres blessures et d’apprendre à se réparer en les valorisant.
Comme l’or dessinant des veines lumineuses dans la céramique réassemblée, le chemin de médiation permet d’accueillir les blessures de chacun et d’en faire des lignes de force, dans l’acceptation des accidents, des fragilités et des imperfections.
Le kintsugi nous rappelle que la beauté de nos liens avec les autres ne réside pas dans leur apparente perfection mais dans la manière dont on choisit de traverser les fractures et les ruptures. La véritable force est celle capable d’intégrer les ruptures et les virages sinueux dans une histoire plus large, ouverte sur l’avenir. Alors, chérissons les défauts et les aspérités de notre entourage et recouvrons les d’or et de douceur, avec patience et amour.
Sources et ressources
La médiation : le Kintsugi des relations humaines
